Un exemple de médiation réussie dans le cadre d’un réseau de franchise

Posté par: Franchising Belgium

Maître Pierre Demolin, DBB Law

Un fabriquant belge distribue ses produits en Belgique et en France. Pour la France, il a choisi de créer un réseau de franchise. Il confie la création et la gestion du réseau français à un master franchisé.

Sans connaissance des principes qui doivent être respectés dans le cadre de la mise au point d’un contrat de master franchise, il confie au master franchisé français l’élaboration du contrat. Celui-ci met au point en 2001 un contrat déséquilibré dans lequel il s’octroie des droits tellement importants qu’il pourrait revendiquer la propriété du concept et du manuel opératoire. Il se fait octroyer non seulement le territoire de la France mais aussi le Luxembourg et la Suisse.

Le fabriquant belge fait confiance à son partenaire dans l’espoir que le développement du réseau français lui permettra d’écouler ses produits avec un maximum d’efficacité.

Le réseau se développe lentement mais, alors qu’une dizaine de points de vente franchisés sont ouverts dans des centres commerciaux importants en France, un litige survient en 2011 : les franchisés se plaignent auprès du franchiseur de l’inertie du master franchisé qui néglige le réseau.

Le franchiseur tente de négocier avec son master franchisé pour le conduire à respecter ses engagements envers ses franchisés. Il constate que son master franchisé a perdu un procès contre un centre commercial et qu’il est redevable d’importants dommages-intérêts, ce qui provoque sans le moindre doute un étranglement de trésorerie qui a pour conséquence l’impossibilité de gérer correctement le réseau de franchise.

Le master franchisé ne veut rien entendre et soutient que le franchiseur est à l’origine des problèmes rencontrés dans le réseau en développant une politique de marketing incohérente et inadaptée.

Le franchiseur constate alors que son master franchisé a fait déposer par une autre société lui appartenant des marques similaires aux siennes et des modèles d’équipement des points de vente créés par lui, le franchiseur, sans l’en avertir.

La coupe déborde et le franchiseur décide de prendre les conseils d’un avocat. Le master franchisé choisit aussi un avocat. Les deux avocats provoquent une réunion des parties pour tenter de trouver avec elles une solution amiable au litige. La tension entre les parties est tellement forte que les avocats ne parviennent pas à convaincre leurs clients de se diriger vers un accord. La procédure judiciaire devient inévitable.

Au mois de mai 2012, le franchiseur assigne le master franchisé devant le tribunal de commerce belge pour demander la résiliation du contrat à ses torts et l’octroi d’importants dommages intérêts.

La motivation de la demande repose sur le non respect par le master franchisé des directives que lui donne le franchiseur : non application des règles relatives à l’agencement des points de vente, refus d’accepter l’évolution de la charte graphique du réseau, création d’une société parallèle pour déposer des modèles d’outillage créés par le franchiseur et des marques similaires, négligences vis-à-vis des franchisés qui s’adressent au franchiseur pour dénoncer le comportement du master franchisé, développement insuffisant du réseau de franchise, etc…

Le tribunal fixe un calendrier de procédure et fixe la date des plaidoiries au mois de février 2013, soit un délai de 9 mois durant lequel le réseau de franchise doit continuer à être géré malgré la procédure en cours. Le jugement ne pouvait être attendu avant le mois de mars 2013 mais chaque partie aurait le droit d’en interjeter appel, ce qui pourrait les conduire à une solution définitive que bien plus tard, sans doute dans le courant de l’année 2015.

Comment gérer efficacement un réseau de franchise dans de telles conditions ? Le franchiseur n’arrive plus à rassurer les franchisés qui menacent de résilier leurs contrats. Le master franchisé de son côté ne voit pas comment il pourrait investir dans le développement du réseau alors que le tribunal pourrait résilier le contrat à ses torts.

Bref, c’est l’impasse. Les avocats échangent leurs arguments dans des conclusions. Et c’est alors que le déclic a lieu : pourquoi ne pas tenter une médiation judiciaire ? Un médiateur totalement indépendant des parties pourrait peut-être, avec le recul qui est le sien, les aider à trouver une solution.

Les avocats poussent leurs clients à accepter cette tentative de règlement à l’amiable du litige et un médiateur professionnel est désigné par le tribunal.

Trois réunions sont organisées par le médiateur en février et mars 2013. Au terme de cette dernière réunion, un accord est conclu. Cet accord prévoit :

– la résiliation du contrat de master franchise : le franchiseur reprend tous ses droits et peut ainsi entretenir et développer lui-même le réseau français, luxembourgeois et suisse ;

– le master franchisé conserve le droit d’exploiter pendant cinq ans trois points de vente à l’enseigne du franchiseur (ceux dans lesquels il s’est investi lui-même avec son épouse et son fils) et le franchiseur s’engage à ne pas ouvrir de points de vente dans la zone de chalandise où le master franchisé exploite ses trois points de vente ;

– le franchiseur s’engage à approvisionner le master franchisé durant cinq ans prolongés éventuellement jusqu’à la fin des baux en cours ;

– les droits intellectuels que le master franchisé s’était appropriés à l’insu du franchiseur (marques et modèles) sont cédés au franchiseur ;

– A titre d’indemnité pour la cession au franchiseur du réseau français créé par le master franchisé, le franchiseur payera une somme de 600.000 EUR au master franchisé payable en 120 mensualités.

Cette convention, proposée par le médiateur avec l’aide des avocats des parties, est donc signée au mois de mars 2013, avant même la date de plaidoirie fixée par le tribunal, après trois réunions.

Jamais un tribunal n’aurait pu trouver une telle solution : le tribunal pouvait seulement trancher le différend en acceptant ou en refusant de résilier le contrat, en octroyant ou non des dommages intérêts, et le jugement qu’il aurait prononcé aurait été susceptible d’être frappé d’appel.

On comprendra par cet exemple concret les avantages d’une médiation :

– Le réseau de franchise français, créé après dix ans de labeur du master franchisé, a été sauvé ;

– Le master franchisé est écarté de la gestion de ce réseau qu’il n’arrivait pas à assurer correctement mais il conserve trois points de vente durant cinq ans : ce sont ses seules sources de revenus qu’il conserve donc ;

– Le franchiseur récupère les marques et modèles qui lui avaient été subtilisés ;

– Le franchiseur paye la contrepartie d’un réseau de franchise d’une dizaine de points de vente qui lui rapporteront des royalties bien plus importantes que la somme à payer en 120 mensualités et reconnaît de cette manière que, malgré toutes les fautes qu’on peut reprocher au master franchisé, il a quand même créé, en partant de rien, un réseau de franchise en France qui ne demande qu’à être développé.

Le plus difficile, dans ce genre de situation, est de faire accepter par les parties de participer à une médiation. Chaque partie estime en effet être dans son droit et ne conçoit pas qu’elle puisse perdre un procès. Alors, accepter une médiation est quelque chose de difficile. Dans le cas d’espèce, il a fallu que les avocats échangent leurs arguments pour que le principe de la médiation soit admis. Mais on le voit par cet exemple concret que cette décision de tenter une médiation a été bénéfique pour les deux parties. Elles auraient même pu en terminer plus vite si elles avaient décidé de recourir à la médiation plus rapidement. Dans le cas d’espèce, la solution a été trouvée en moins de deux mois !

Cela ne veut évidemment pas dire que toute médiation réussit. Mais en tout cas une solution équilibrée comme celle décrite ci-dessus n’aurait jamais pu être imposée par un tribunal.

Maître Pierre Demolin
DBB Law