L’obligation d’assistance du franchiseur à l’égard de son franchisé

Posté par: Franchising Belgium

Quelles sont les conséquences pour le franchiseur de n’avoir pas précisé les charges nouvelles que le franchisé doit supporter au cours de l’exécution du contrat alors que l’article X.28, § 1, 2°, k) du Code de droit économique l’oblige à mentionner les charges et à indiquer leur montant ? Par charges nouvelles, on entend notamment l’augmentation énorme des coûts de l’énergie et l’indexation des salaires plus élevée que prévue.

Le Code de droit économique belge ne contient aucune disposition mettant une obligation d’assistance à charge du franchiseur.

Les lignes directrices du nouveau règlement européen sur les restrictions verticales[1]prévoient à l’article 85 que « outre la licence de DPI[2], le franchiseur fournit habituellement au franchisé une assistance commerciale ou technique pendant toute la durée de l’accord, telle que des services en matière d’approvisionnement, une formation, des conseils immobiliers et une planification financière. La licence et l’assistance fournie font partie intégrante de la méthode commerciale franchisée » ; à l’article 86, il est prévu que « dans la plupart des accords de franchise, y compris les accords de franchise principale, le franchiseur fournit au franchisé des biens ou des services, notamment des services d’assistance commerciale ou technique » ; à l’article 165, il est indiqué que « outre une licence de droits de propriété intellectuelle, le franchiseur fournit normalement au franchisé une assistance commerciale ou technique pendant la période d’application de l’accord. La licence et cette assistance font partie intégrante de la méthode commerciale franchisée. Le franchiseur perçoit en règle générale une redevance du franchisé pour l’utilisation de cette méthode commerciale » ; l’article 166 prévoit que « la franchise (à l’exception des accords de franchise industrielle) présente certaines caractéristiques spécifiques, telles que l’utilisation d’un nom commercial uniforme, des méthodes commerciales uniformes (y compris l’octroi de licences de DPI) et le paiement de redevances en échange des avantages accordés (…) Compte tenu de ces caractéristiques, les dispositions strictement nécessaires au fonctionnement des systèmes de franchise peuvent être considérées comme ne relevant pas de l’article 101, paragraphe 1, du traité. Il s’agit, par exemple, des restrictions qui empêchent le franchisé d’utiliser le savoir-faire et l’assistance fournis par le franchiseur au profit de ses concurrents ».

Force est de constater que même les textes européens, s’ils insistent sur l’assistance que le franchiseur fournit « habituellement » ou « normalement » au franchisé, ne donnent aucune précision sur ce que recouvre l’obligation d’assistance du franchiseur à l’égard du franchisé.

La liberté contractuelle qui est la base de notre système juridique permet donc aux parties à un contrat de partenariat commercial de prévoir ce qu’ils souhaitent en ce qui concerne une obligation d’assistance et même de ne rien prévoir du tout. Mais s’il n’y a pas d’assistance, il n’y aura pas de contrat de franchise car l’assistance est un des fondements du contrat de franchise. Pour s’en convaincre, il suffit de lire l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 28 janvier 1986[3] qui définit le contrat de franchise sur base de 3 éléments : le transfert de savoir-faire, le droit d’exploiter une enseigne commune à tous les franchisés du réseau et l’assistance continue du franchiseur aux franchisés.

Le fait que la mention des charges figurant dans le document d’information contractuelle ne soit plus conforme à la réalité, vu le changement des circonstances économiques, ne pourra en principe être considéré comme une faute du franchiseur dans la mesure où le montant de ces charges était conforme à la réalité lors de la communication du document d’information précontractuelle et que l’augmentation actuelle était imprévisible.

Par ailleurs, la notion d’assistance est une notion peu précise : assistance commerciale ? Technique ? Juridique ? Administrative ? Logistique ? Financière ? Une chose est certaine : aucun texte ne parle d’assistance financière. Cependant, chaque contrat mérite un examen précis dans sa conception et dans son exécution passée pour pouvoir décrire le contenu de cette obligation d’assistance.

Reste alors à vérifier si les principes généraux du droit des obligations ne peuvent être invoqués pour imposer au franchiseur une obligation d’assistance dans le contexte économique difficile actuel. Tout en retenant que ce contexte est difficile pour les deux parties : le franchiseur et le franchisé. Mais il pourrait l’être à des degrés différents chez le franchiseur et chez le franchisé. Un franchiseur, par sa taille, pourrait – ou devrait ? – prendre des mesures qu’un franchisé seul ne pourrait envisager.

L’obligation d’exécution de bonne foi du contrat pourrait être soulevée[4]. Le principe de l’exécution de bonne foi des conventions domine toute la vie du contrat de partenariat commercial et s’applique aussi bien pendant la période précontractuelle (en tenant compte de la réglementation spéciale du Code de droit économique sur l’information précontractuelle)[5] que pendant l’exécution du contrat ou sa dissolution. L’art.5.71 du nouveau Code civil[6] prévoit que le contrat oblige non seulement à ce qui y est convenu, mais encore à toutes les suites que la loi, la bonne foi ou les usages lui donnent d’après sa nature et sa portée.

On peut aussi faire référence aux nouvelles règles de l’article 5.74 du nouveau Code civil traitent du « Changement de circonstances » : chaque partie doit exécuter ses obligations quand bien même l’exécution en serait devenue plus onéreuse, soit que le coût de l’exécution ait augmenté, soit que la valeur de la contre-prestation ait diminué. Toutefois, le débiteur peut demander au créancier de renégocier le contrat en vue de l’adapter ou d’y mettre fin lorsque certaines conditions sont réunies. Cette disposition n’est pas d’ordre public et le contrat de franchise peut y déroger.

Dans ces deux hypothèses (exécution de bonne foi et changement de circonstances), l’appréciation du juge sera essentielle.

On peut également se pencher sur les nouvelles règles relatives aux clauses abusives et à l’abus de dépendance économique qui sont d’ordre public et auxquelles on ne peut déroger par contrat[7].

Il serait trop long d’approfondir dans cet article les détails de ces principes juridiques. Notre but est uniquement de mettre en évidence les règles anciennes et nouvelles qui peuvent avoir un effet sur l’obligation d’assistance figurant dans un contrat de franchise.

Enfin, il sera utile de vérifier si le franchiseur n’a pas accepté de souscrire une obligation d’assistance en acceptant d’adhérer au Code de déontologie européen de la franchise. Ce code prévoit qu’un franchiseur doit assurer la pérennité du réseau de franchise et assurer l’évolution du concept franchisé. Des instances de dialogue sont prévues. Dès le moment où les circonstances économiques provoquent une mise en péril de tout ou partie des contrats de franchise en cours d’exécution et, finalement, du réseau lui-même, il est possible que l’obligation pour le franchiseur de prendre des mesures pour éviter les conséquences néfastes des circonstances économiques nouvelles puissent être qualifiées d’obligation d’assistance.

Comme on le voit, il y a un chantier juridique énorme qui s’ouvre pour les contrats de franchise avec la crise économique actuelle. La concertation ou la médiation sont toujours les meilleurs moyens pour arriver à une solution. A défaut, ce sont les juridictions qui auront le dernier mot.

Le 20/12/2022
Pierre Demolin
Avocat aux barreaux de Mons et de Paris

DBB LAW

[1] Règlement (UE) 2022/720 de la Commission du 10 mai 2022 concernant l’application de l’article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées (JO L 134, 11.5.2022, p. 4). Le Règlement entre en vigueur le 1er juin 2022, et expire le 31 mai 2034. Une période de transition avec l’ancien règlement d’exemption verticale est prévue jusqu’au 31 mai 2023. Lignes directrices de la Commission européenne du 28 juin 2022 : https://groupes.renater.fr/sympa/d_read/creda-concurrence/Doc/29juin2022/LignesDirectricesVerticales28juin2022.pdf
[2] Droits de propriété intellectuelle
[3] Arrêt du 28 janvier 1986, Pronuptia de Paris GmbH/Pronuptia de Paris Irmgard Schillgallis, C-161/84, EU:C:1986:41.
[4] Art. 1134 al. 3 du Code civil.
[5] Art. X. 26 à X.34 du CDE.
[6] Loi du 28 avril 2022 portant le livre 5 « Les obligations » du Code civil applicable le 1er janvier 2023. A noter que l’art. 64.de la loi prévoit que les dispositions du livre 5 du Code civil s’appliquent aux actes juridiques et aux faits juridiques survenus après l’entrée en vigueur de la présente loi et que sauf accord contraire des parties, elles ne s’appliquent pas et les règles antérieures demeurent applicables: 1° aux effets futurs des actes juridiques et faits juridiques survenus avant l’entrée en vigueur de la présente loi; 2° par dérogation à l’alinéa 1er, aux actes juridiques et aux faits juridiques survenus après l’entrée en vigueur de la présente loi qui se rapportent à une obligation née d’un acte juridique ou d’un fait juridique survenu avant l’entrée en vigueur de la présente loi.
[7] Loi du 4 avril 2019 « modifiant le Code de droit économique en ce qui concerne les abus de dépendance économique, les clauses abusives et les pratiques du marché déloyales entre entreprises » publiée au Moniteur belge le 24 mai 2019. Nouvel article IV.2/1 du Code de droit économique.