La nullité du cautionnement pour mise en péril des intérêts de la famille de la caution

Posté par: Franchising Belgium

Maîtres Olivier Clevenbergh et Camille Cornil, Strelia avocats

Les franchisés exercent souvent leur activité par l’intermédiaire d’une société. Il est courant, dans ce cas, que le franchiseur demande que le gérant de la société franchisée se porte caution des sommes que le franchisé pourrait devoir au franchiseur en vertu du contrat de franchise. Ce mécanisme permet au franchiseur de conserver un débiteur dans l’hypothèse de l’insolvabilité du franchisé qui aurait des dettes à son égard (redevances, prix de fourniture de produits, loyer, etc.).

L’efficacité d’un tel cautionnement peut cependant être affectée dans diverses circonstances.

Tout d’abord, si le cautionnement a été donné « à titre gratuit », c’est-à-dire en l’absence de tout avantage économique, tant direct qu’indirect, que la caution peut obtenir grâce à ce cautionnement, la caution ne devra pas l’exécuter en cas de faillite du débiteur s’il est constaté que l’obligation est disproportionnée par rapport à ses revenus et son patrimoine et qu’elle n’a pas frauduleusement organisé son insolvabilité. Il est admis que si la caution est le gérant (salarié) ou est l’actionnaire ou l’associé dans la société débitrice, le cautionnement n’est pas gratuit et subsiste donc malgré la faillite.

La loi a en outre prévu un mécanisme de protection des intérêts familiaux de la caution.

L’article 224, § 1er, al. 4 du Code civil prévoit en effet que les sûretés personnelles données par l’un des époux et qui mettent en péril les intérêts de la famille sont annulables à la demande du conjoint [1].

On notera qu’à l’heure actuelle, cette protection n’est accordée qu’aux personnes mariées et non aux cohabitants, de fait ou légaux, même s’ils ont des enfants communs.

L’action en nullité du cautionnement doit être introduite par le conjoint au plus tard un an après le jour où l’époux a eu connaissance de l’acte de cautionnement.

On considère que c’est au créancier, donc au franchiseur, qui invoque que le délai est expiré d’apporter la preuve du moment de la connaissance de l’acte.

Pour éviter cette difficulté, le créancier demandera souvent que l’époux ou l’épouse de la caution contresigne l’acte de cautionnement pour prise de connaissance (ce qui fait courir le délai d’un an de manière incontestable) ou même pour renoncer à la nullité (ce qui est d’une validité douteuse).

Le cautionnement ne peut être annulé que s’il est de nature à mettre en péril les intérêts de la famille. Le juge devra apprécier souverainement, selon les circonstances de fait, si celle condition est remplie ou non.

Selon la Cour de cassation, le péril doit s’apprécier au moment de la conclusion de l’acte et d’après le montant de la sûreté accordée par le conjoint, comparé à la situation de fortune de la famille (Cass., 25 avril 1985, Pas., 1985, I, p. 1052).

La jurisprudence précise encore que c’est le cas d’un époux qui grèverait son patrimoine propre dans une mesure telle qu’il n’aurait plus la possibilité de contribuer dans des conditions décentes aux charges de la famille.

Il convient de se placer au moment où la sûreté a été consentie et d’examiner :

  • les éléments intrinsèques à l’acte, c’est-à-dire ceux qui sont propres à la sûreté, tels que son montant ou la situation au moment où le cautionnement a été souscrit;
  • les éléments extrinsèques à l’acte, c’est-à-dire ceux qui tiennent à la situation financière et familiale de l’époux qui a consenti la sûreté, tels que les revenus du ménage ou ses charges de famille.

Aucun élément ultérieur à la conclusion de la sûreté ne peut entrer en ligne de compte pour apprécier la situation de la famille.

La « famille » est une notion qui est interprétée largement et peut s’étendre aux enfants mariés ou ayant quitté le logement des parents.

Le fait que le créancier ignorait que la caution mettait ces intérêts en péril, et était donc de bonne foi, est indifférent (Cass., 27 nov. 1987, Pas., 1988, I, 381).

C’est au conjoint qui postule l’annulation de l’acte de cautionnement d’apporter la preuve de la réunion de ces conditions. Il devra détailler et justifier les besoins du ménage de l’époque, ainsi que les revenus.

Dans les faits, le conjoint invoque souvent les arguments suivants à l’appui de sa demande d’annulation :

  • L’absence de connaissance dans son chef de l’acte dont la nullité est postulée,
  • L’existence d’un crédit hypothécaire à charge du couple,
  • Le niveau d’endettement élevé du couple,
  • Les revenus modestes du couple.

Les éléments suivants ressortent de la jurisprudence :

  • la constitution d’une sûreté personnelle en garantie d’un montant très élevé peut être de nature à mettre en péril les intérêts de la famille lorsque ceux-ci sont déjà gravement menacés par l’état d’endettement du couple au moment de la constitution du cautionnement;
  • les nouvelles activités de la caution, qui ont justifié son engagement de caution, peuvent être de nature à apporter une amélioration du niveau de vie;
  • Il est tenu compte du lien entre la caution et le débiteur principal ainsi que de la nature de sa dette : lorsque le débiteur est la société dont la caution est le gérant, pour laquelle le conjoint d’ailleurs peut être amené à travailler, on peut supposer que le gérant consent à l’engagement de caution en connaissance de cause, puisque, d’une part, il maîtrise et connait la situation de la société débitrice principale et, d’autre part, que la société est la source principale de revenus pour la famille. La situation est différente lorsque le cautionnement est consenti en garantie des dettes d’une société détenue et gérée par un tiers;
  • si le franchisé a pu lancer ses activités sous la supervision et avec l’assistance du franchiseur, professionnel du secteur, ceci est de nature à amoindrir les risques par rapport à une entreprise qui se lance seule dans l’aventure;
  • la protection des intérêts de la famille, si légitime soit-elle, ne peut trop facilement devenir le palliatif à l’échec financier d’une opération régulière dont les tiers contractants sont en droit d’attendre qu’elle soit menée à bonne fin;
  • l’engagement de caution pris par un administrateur de la société débitrice relève, au jour où il est contracté, vis-à-vis de sa famille, de l’exercice de ses activités professionnelles et est présumé, comme toute activité professionnelle d’un époux, être conforme à la gestion normale des époux dans le respect des droits de la famille.

Par ailleurs, la jurisprudence a pu donner gain de cause au franchiseur lorsqu’il a invoqué la mauvaise gestion de l’entreprise imputable au franchisé ayant entraîné l’échec du projet, de sorte que ce n’était pas le cautionnement en lui-même qui avait mis en péril les intérêts de la famille. De même, lorsqu’il est établi que le franchiseur a tenté d’aider le franchisé en lui donnant des conseils, il a été admis qu’on ne pouvait faire le reproche au franchiseur d’avoir tardé à mettre fin au contrat de franchise, surtout que l’on peut supposer que si le franchiseur s’était, à l’inverse, précipité pour mettre fin au contrat, le franchisé lui aurait probablement aussi reproché cette précipitation au franchiseur.

En conclusion, d’une part, celui qui se porte caution doit bien entendu se poser la question de savoir si, dans l’hypothèse où la caution serait mise en œuvre, il sera toujours en mesure d’assumer ses devoirs financiers familiaux. D’autre part, le franchiseur doit, en réalité se poser cette même question, à peine de voir le cautionnement privé d’effets. Il sera donc avisé de veiller en tous cas à ce que l’époux ou l’épouse soit dûment informé de l’existence du cautionnement et se réserve la preuve de cette connaissance. D’autre part, il devrait vérifier de quels moyens le franchisé dispose, au moment de contracter le cautionnement, pour faire face à ses obligations le cas échéant.

Maîtres Olivier Clevenbergh et Camille Cornil, Strelia avocats 

[1] A cette protection s’ajoute celle du logement familial. Même si une maison appartient en propre à l’un des deux époux, celui-ci ne peut, notamment, pas la grever d’une hypothèque sans l’accord de son conjoint s’il s’agit de la résidence principale de la famille.