La distribution sélective peut être réellement ‘sélective’

Posté par: Franchising Belgium

Stijn Claeys, Racine Avocats

La vente des produits de luxe sur des plateformes telles qu’eBay ou Amazon porte atteinte à l’image de marque de ces produits. On peut donc interdire les vendeurs agréés de vendre des produits de luxe sur de telles plateformes.

Coty Germany distribue des produits cosmétiques dans le segment de luxe via un réseau de distributeurs agréés choisis sur base d’un certain nombre de critères qualitatifs. Les distributeurs doivent disposer d’un point de vente aménagé selon les normes définies par  Coty. De même, pour la vente en ligne, des critères semblables sont appliqués (car on ne peut  pas complètement interdire la vente en ligne par des distributeurs en vertu du droit à la concurrence). Dans le cadre de ces exigences qualitatives, Coty interdit l’utilisation de plateformes tierces (telles que eBay, Amazon etc.) qui sont visibles pour le consommateur en ligne. On peut donc bien faire appel à des tiers qui offrent des services lors de l’organisation d’une boutique sur internet, mais ceux-ci ne peuvent pas être visibles pour les clients. Le client doit, de l’extérieur, avoir l’idée de faire ses achats sur une boutique en ligne du distributeur agréé.


Est-ce possible?

Un des distributeurs est bien actif via amazon.de et Coty demande par conséquent au juge allemand d’interdire à ce distributeur la vente de produits cosmétiques de luxe via cette plateforme ou d’autres plateformes similaires. Le juge allemand se demande si une telle interdiction de l’utilisation de plateformes tierces  ne constitue pas une infraction à la libre concurrence et pose la question à la Cour européenne de Justice. Le 6 décembre 2017, la Cour décide que pour certains types de produits, on peut en effet interdire leur vente sur des plateformes tierces lorsque l’on porte atteinte à l’image de marque des produits. Vous trouverez la décision complète via le lien http://curia.europa.eu/juris/documents.jsf?num=C-230/16 


Analyse juridique

La Cour reprend les grandes lignes du droit de la concurrence. Un système de distribution sélective ne constitue pas une infraction à l’interdiction reprise dans l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne si :

  1. Le choix des distributeurs ‘agréés’ se fait sur base de critères de qualité objectifs qui sont appliqués sans distinction.
  2. Les critères doivent être proportionnées à que est nécessaire en fonction de la protection du savoir-faire ou de l’image de marque liée aux produits.

En ce qui concerne ce dernier point, la Cour accepte que pour les produits de luxe la qualité du produit (et donc la possibilité de mettre en place des exigences qualitatives pour leur distribution) ne dépende pas seulement des caractéristiques intrinsèques du produit en lui-même, mais également de la perception et de l’expérience personnelle qui confèrent à ces produits une image prestigieuse. Cette expérience est cruciale lors de la décision d’achat du client (et détermine en grande partie pourquoi le client est prêt à dépenser plus pour s’offrir ce produit). Cette image est l’une des raisons principales qui distingue le produit en question d’autres produits semblables mais moins luxueux. Si l’on porte atteinte à cette image de luxe, on porte aussi atteinte à la “qualité” du produit.

C’est pour cette raison que la qualité du produit peut être protégée par des exigences ‘de qualité’ appliquées à sa distribution via un système de distribution sélectif.  Nous savons depuis le jugement rendu dans l’affaire Pierre Fabre qu’une interdiction complète de la vente en ligne ne se justifie jamais. La Cour confirme à présent qu’une interdiction sur la vente via des plateformes tierces peut tout à fait se justifier si le but en est de protéger l’image de luxe du produit et que la vente du produit sur une plateforme de tiers affecte en effet négativement son image.

Un producteur de produits de luxe n’a pas de lien direct avec ces plateformes auxquelles les distributeurs agréés veulent faire appel et n’a donc pas non plus la possibilité de vérifier si les critères de distribution qualitatifs sont respectés (p.ex. par rapport à la présentation des produits). Pour cette raison, une interdiction totale d’utiliser les plateformes tierces est ‘proportionnée’ à la conservation de l’image de luxe. Ce qui ne signifie absolument pas que le distributeur agréé ne peut pas du tout vendre en ligne. La vente via une propre boutique internet appartenant au distributeur reste bel et bien admise (pour autant que les critères des produits soient respectés).

Conclusion

Il reste donc important que dans un contrat de distribution ou de franchise, les règles relatives aux activités en ligne soient clairement reprises. On ne peut interdire aux franchisés et aux distributeurs d’être actifs en ligne. Toutefois pour certains produits, on peut admettre que la vente en ligne ne puisse se faire en respectant des critères qualitatives, ce qui peut comprendre une interdiction de vendre via des plateformes tierces.

Stijn Claeys, Racine Avocats