La Cour de cassation circonscrit à nouveau la notion d’ « entreprise » attachée aux personnes physiques

Posté par: Franchising Belgium

Le dirigeant d’une société « franchisé »

L’exploitation d’une franchise se fait le plus souvent par le biais d’une société, ayant elle-même le statut de franchisé vis-à-vis du franchiseur.

Cette société est dirigée par un administrateur, à qui le franchiseur demande d’être et de rester, pendant toute la durée de la relation de franchise, l’actionnaire de contrôle de la société franchisé.

C’est en effet cette personne physique qui sera l’interlocuteur privilégié du franchiseur et avec laquelle le franchiseur va développer une étroite collaboration.

Le contrat de franchise est dès lors, dans la plupart des cas, conclu en raison de la personne et des compétences de cet interlocuteur, ce qui permet de qualifier le contrat de franchise d’intuitu personae.

Les engagements personnels du dirigeant d’une société franchisé

Si la plupart des engagements relatifs à l’exploitation de la franchise sont souscrits par le franchisé (la société), vis-à-vis du franchiseur, des fournisseurs, des bailleurs de fonds, etc., le dirigeant de la société franchisé est également appelé, dans de nombreux cas, à s’engager personnellement, notamment en qualité de caution personnelle de ladite société.

Il partage ainsi, avec la société qu’il dirige et le franchiseur, les risques que le projet d’exploitation indépendante sous le régime de la franchise implique.

Ce cautionnement – requis par les banques, le plus souvent, et le franchiseur – a pour effet que l’administrateur personne physique soit un jour potentiellement amené à devoir payer les dettes que la société (le franchisé) ne serait plus elle-même en mesure de payer, en cas de faillite notamment.

La faillite personnelle d’un dirigeant de société, à la suite de la faillite de ladite société

Lorsque les choses tournent mal et que la personne physique, administrateur d’une société en faillite, est appelée à apurer les dettes laissées par la société faillie, la faillite personnelle de l’administrateur de société, avec ses effets radicaux, a récemment été considérée comme une aubaine pour les personnes concernées, endettée sur leur patrimoine personnel, à la suite de l’échec de leur projet professionnel.

Ainsi, les cours et tribunaux ont été amenés à se prononcer, à plusieurs occasions, sur la question de savoir si un dirigeant de société pouvait lui-aussi être en faillite, à la suite de la faillite de sa société.

Compte tenu de l’insécurité juridique créée par ce débat et les décisions jurisprudentielles en sens contraires rendues par les différentes juridictions saisies, une décision de la Cour de cassation était attendue.

La jurisprudence récente de la Cour de cassation 

Un premier arrêt de la Cour de cassation a été rendu le 18 mars 2022 sur cette question.

Par un récent arrêt du 9 février 2023, la Cour de cassation vient de confirmer son premier arrêt du mois de mars 2022, mais cette fois-ci, dans le cadre d’une affaire opposant un franchiseur à un ancien dirigeant de société (ex-franchisé).

Selon la Cour de cassation, un dirigeant d’entreprise ne peut pas automatiquement être qualifié d’entreprise et faire aussi facilement aveu de faillite.

Dans cette récente affaire, la Cour de cassation décide de casser un arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles qui avait admis la qualité d’entreprise d’une personne physique, administrateur de société franchisé, qui avait fait aveu de faillite en cette qualité, à la suite de l’aveu de faillite de la société dont il était lui-même le seul gérant et ce, dans le but d’échapper à ses engagements envers le franchiseur de caution personnelle de cette société en faillite.

Le critère de « l’organisation propre »

Selon la Cour de cassation, une personne physique ne peut être une « entreprise », au sens de l’article I.1, 1° du Code de droit économique (qui est définie comme : « toute personne physique qui exerce une activité professionnelle à titre indépendant ») – et bénéficier du régime de la faillite –, que lorsqu’elle constitue une organisation consistant en un agencement de moyens matériels, financiers ou humains en vue de l’exercice d’une activité professionnelle à titre indépendant.

La Cour de cassation retient donc le critère de « l’organisation » comme critère autonome, en ce qu’une personne physique qui exerce à titre indépendant une activité professionnelle en dehors de toute organisation propre n’est pas une entreprise.

La Cour de cassation contredit ainsi la position de la Cour d’appel de Bruxelles qui s’était prononcée en défaveur de la thèse du franchiseur.

La Cour constitutionnelle a failli se prononcer sur cette question

Récemment, le sujet a également surgi devant la Cour constitutionnelle, qui a été invitée à répondre à deux questions préjudicielles posées par le Tribunal de l’entreprise du Hainaut, division Charleroi.

En résumé, il a ainsi été demandé à la Cour constitutionnelle s’il n’était pas discriminatoire, au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation, d’exiger des administrateurs et gérants de sociétés qu’ils disposent d’une organisation propre pour pouvoir être qualifiés d’entreprises.

Toutefois, la Cour constitutionnelle, dans son arrêt du 16 mars 2023, décide que les questions préjudicielles ne sont pas formulées correctement et, en conséquence, « qu’elles n’appellent pas de réponse ».

On peut regretter de ne pas avoir obtenu l’avis de la Cour constitutionnelle sur cette question. Une occasion manquée ?

En conclusion

La jurisprudence de la Cour de cassation – qui n’a pas été contredite par la Cour constitutionnelle – aura sans doute pour effet de dissuader les dirigeants de sociétés en faillite (mais pas uniquement, la jurisprudence de la Cour de cassation n’étant pas limitée aux seuls dirigeants d’entreprises) – souvent engagés sur leur propre patrimoine – à faire eux-mêmes aveu de faillite pour tenter de tirer profit du « fresh start » offert par le régime de l’effacement à la clôture de la faillite.

La Cour de cassation met ainsi un frein à l’élargissement du champ d’application du livre XX du Code de droit économique, tout en préservant l’intérêt du régime du cautionnement.

Préserver le régime du cautionnement signifie le maintien d’un certain équilibre dans la répartition des risques.

Certains commentateurs estiment qu’une jurisprudence en sens contraire aurait un effet indésirable sur l’attitude des banques qui, privées d’une garantie personnelle, pourraient se montrer plus frileuses dans l’octroi des financements nécessaires aux candidats franchisés pour lancer leurs projets professionnels, ralentissant ainsi, notamment, le développement des réseaux de franchise.

Nul doute que cette jurisprudence fera l’objet de nombreux commentaires.

Une réaction du législateur est par ailleurs déjà annoncée.

 

Camille Cornil
Strelia