Maître Patrick Kileste, KMS Partners
Une chaîne de magasins a été condamnée par le tribunal de commerce francophone de Bruxelles à indemniser un ancien fournisseur à hauteur de plus d’un million d’euros. Le litige s’inscrit dans le cadre d’une rupture de contrat jugée abusive par l’ancien fournisseur ainsi que sur les conditions dans lesquelles des marchandises lui avaient été retournées à la suite d’une réimplantation des magasins décidée par la chaîne de magasins. Décision : Trib. comm. fr. Bruxelles (22ème ch.) 13/01/2015, inédit, n°A/13/06478.
LES FAITS
Pendant de nombreuses années, une entreprise du secteur de la grande distribution, ci-après la société X, s’était approvisionnée auprès de la société Y. Les parties concluaient, dans ce cadre, de manière successive, plusieurs contrats pour des périodes d’un an.
Dans le courant de l’été 2011, la société X a demandé à la société Y de procéder à une nouvelle implantation de ses produits au sein des magasins de l’enseigne de la société X, ce qui impliquait notamment que la société Y reprenne l’intégralité de son stock et élabore de nouveaux plans de rayons et de packaging (engendrant pour elle d’importants coûts financiers).
Parallèlement à la négociation de cette réimplantation, les parties signèrent une lettre d’intention prévoyant la confirmation par la société X de son intention de poursuivre la collaboration pendant les deux prochaines années, sous la réserve du droit pour la société X de mettre fin à la convention moyennant l’envoi d’un courrier recommandé et le respect d’un préavis d’un an.
En juin 2012, la société-mère de la société X lança un appel à candidature en vue de mettre en concurrence les candidats fournisseurs chargés d’approvisionner les magasins de la société X. Par lettre du mois de septembre 2012, la société X notifia à la société Y que cette dernière n’avait pas remporté l’appel d’offres et lui confirma « sa volonté d’arrêter toute collaboration à l’issue de ce contrat ».
Cette décision fut toutefois fermement contestée par la société Y qui estimait que la société X avait commis une faute en trompant ses attentes légitimes en ne renouvelant pas le contrat. Elle dénonçait également la manière dont la société X avait mené la réimplantation et postulait le paiement d’une indemnisation des efforts qu’elle avait été contrainte de déployer au regard de l’état déplorable dans lequel elle avait récupéré le matériel dans les différents points de vente.
LA DÉCISION DU TRIBUNAL DE COMMERCE
Le tribunal a considéré que l’attitude de la société X ne pouvait être qualifiée d’abusive, nonobstant le fait que les parties étaient en relations commerciales depuis de nombreuses années, que ce soit au regard du principe d’exécution de bonne foi des conventions ou du droit de la concurrence et/ou pratiques du marché.
Le jugement rendu va toutefois plus loin et a ensuite examiné les différentes difficultés liées au fait que la réimplantation ne s’était pas déroulée comme elle aurait dû (stocks de marchandises renvoyées en mauvais état, impossibilité de réutiliser les produits récupérés, etc.), ainsi que la question de l’éventuelle indemnisation due à la société Y, indépendamment de la terminaison de la relation contractuelle.
Le constat d’huissier produit par la société Y faisait à cet égard état de marchandises retournées « dans un état déplorable ». Sur ce point, le tribunal a relevé que « le déséquilibre entre les parties, qualifié par la société Y de position dominante de X ainsi que de dépendance économique dans son chef, apparaît criant puisqu’il semble qu’hormis en formulant des excuses, la société X se soit totalement désintéressée de la manière dont le rapatriement du stock était réalisé vers son fournisseur sachant qu’en tout état de cause, la société Y s’était engagée à reprendre le stock, condition pour poursuivre la réimplantation ».
Le tribunal a donc, sur base de ce constat, condamné la société X à indemniser son ancien fournisseur à hauteur de 1.111.082,77€.
Le jugement est frappé d’appel.
Maître Patrick Kileste
KMS Partners
JUIN