Maître Carmen Verdonck, Altius
La Cour Constitutionnelle confirme que les obligations en matière d’information précontractuelle ne s’appliquent pas aux contrats d’agence bancaire et d’assurance
Rappel
Les obligations en matière d’information contractuelle trouvent leur origine dans la loi du 19 décembre 2005 relative à l’information précontractuelle dans le cadre d’accords de partenariat commercial (ci-après la « Loi IP ») qui s’appliquait aux « accords de partenariat commercial conclus entre deux personnes, qui agissent chacune en son propre nom et pour son propre compte, par lequel une de ces personnes octroie à l’autre le droit, en contrepartie d’une rémunération, de quelque nature qu’elle soit, directe ou indirecte, d’utiliser lors de la vente de produits ou de la fourniture de services, une formule commerciale […] » (Article 2 de la Loi IP).
Pour rappel, la Loi IP imposait à la personne qui octroie le droit d’utiliser une formule commerciale déterminée (c’est-à-dire le principal) de fournir à la personne à qui ce droit est octroyé, un mois avant la conclusion de l’accord de partenariat commercial, un projet d’accord ainsi qu’un document particulier reprenant (i) les dispositions contractuelles importantes du projet d’accord d’une part et (ii) certaines données à caractère principalement économique (comptes annuels, parts de marché, etc.) d’autre part (Articles 3 et 4 de la Loi IP).
Avant même son entrée en vigueur, la Loi IP avait alimenté les discussions et divisé la doctrine quant à son champ d’application : les « accords de partenariat commercial » visés par la Loi IP couvraient-ils également les contrats d’agence commerciale (soumis à la loi du 13 avril 1995 relative au contrat d’agence commerciale) ? La réponse à cette question s’est avérée principalement dépendre de l’interprétation donnée à l’exigence d’agir « en son nom propre et pour son propre compte » qui était imposée à chacune des parties au contrat.
Selon une première tendance, cette exigence devrait être remplie non seulement lors de la phase précontractuelle mais également au cours de l’exécution du contrat. Selon cette optique, les contrats d’agence commerciale devraient être automatiquement exclus puisque l’agent n’agit pas « en son nom propre et pour son propre compte », mais bien au nom et pour le compte de son commettant.
D’après une seconde tendance, l’exigence d’agir « en son nom propre et pour son propre compte » ne vaudrait que pour la phase précontractuelle. Selon cette vision, les contrats d’agence commerciale ne devraient alors pas être automatiquement exclus du champ d’application de la Loi IP.
Dans son avis n°2010/05 du 6 septembre 2010, la Commission d’arbitrage semblait implicitement emboîter le pas à la seconde tendance tout en précisant que « les contrats d’agence commerciale pour lesquels le législateur a pris des dispositions spécifiques et il en est ainsi à ce jour pour deux types de contrat d’agence commerciale à savoir le contrat d’agence bancaire et le contrat d’agence d’assurance, ne sont pas soumis à la loi du 19 décembre 2005 ».
A contrario, la Cour d’Appel de Bruxelles (dans un arrêt du 4 octobre 2012) suivait plutôt la première tendance en précisant que le contrat d’agence commerciale ne pouvait pas répondre à la condition d’agir en son nom propre et pour son propre compte « puisqu’il est conclu entre deux personnes dont l’une (l’agent commercial) agit au nom et pour le compte de l’autre (le commettant), et ne sont dès lors pas des partenaires indépendants. » (C.A. Bruxelles, 4 octobre 2012, Beldiscom SA c/KPN Group Belgium SA).
Lors de l’intégration de la Loi IP dans le titre 2 du livre X du Code de droit économique (ciaprès le « CDE »), le législateur s’est finalement aligné sur la seconde tendance ainsi que sur l’avis de la Commission d’arbitrage en supprimant la condition d’agir « en son nom et pour son propre compte » afin de couvrir (implicitement) les contrats d’agence commerciale (Article I.11,2° CDE) tout en excluant expressément les contrats d’agence bancaire et d’assurance (Article X.26 CDE).
Dans son avis sur le projet de CDE susmentionné, le Conseil d’Etat avait pourtant émis certains doutes quant aux raisons avancées par le législateur pour justifier le régime d’exception applicable aux contrats d’agence du secteur de l’assurance et du secteur bancaire. Des doutes et critiques avaient également été émis par certains juristes quant aux raisons invoquées pour .justifier cette exception. La raison principale invoquée était l’existence d’une législation spécifique applicable au secteur bancaire et de l’assurance qui garantissait déjà une protection suffisante à l’agent bancaire et à l’agent d’assurance.
Cette législation spécifique se limite à la loi du 13 avril 1995 relative au contrat d’agence commerciale (ci-après la « Loi Agence ») d’une part et aux lois du 22 mars 2006 relative à l’intermédiation en services bancaires et en services d’investissement et à la distribution d’instruments financiers (ci-après la « Loi Bancaire ») et du 4 avril 2014 relative aux assurances (ci-après la « Loi Assurances ») d’autre part.
Or, aucune de ces lois ne semblait à même de justifier objectivement le régime d’exception dont bénéficie le secteur des banques et assurances.
La Loi Agence s’applique à l’ensemble des contrats d’agence commerciale et pas uniquement aux contrats d’agence bancaire et d’assurance. Ces derniers n’ont d’ailleurs été soumis à la Loi d’Agence qu’en date du 12 juin 1999 (suite à une modification de la Loi Agence en question), c’est-à-dire après les autres contrats d’agence commerciale. Si ce régime d’exception à la Loi IP se base sur la protection qui serait déjà octroyée par la Loi Agence, alors l’ensemble des contrats d’agence commerciale (et pas uniquement les contrats d’agence bancaire et d’assurance) devaient pouvoir bénéficier de ce régime d’exception (ce qui n’était manifestement pas le cas).
De leur côté, la Loi Bancaire et la Loi Assurances peuvent évidemment être qualifiées de législation spécifique au secteur des banques et des assurances. En revanche et hormis l’obligation générale de consigner la collaboration entre le mandant et l’agent bancaire dans une convention écrite répondant à certaines exigences, ces lois ne contiennent pas de disposition relative aux relations précontractuelles et à la mise en œuvre proprement dite de la collaboration commerciale, telles qu’elles sont régies par le livre X, titre 2, du CDE (comme l’avait déjà rapporté le Conseil d’Etat dans son avis sur le projet de CDE).
Arrêt de la Cour
Suite à l’insertion de ce nouvel Article X.26 CDE, une union professionnelle d’intermédiaires de banque et d’assurance a donc décidé d’introduire un recours en annulation devant la Cour Constitutionnelle en raison de la différence de traitement (injustifiée) que ce nouvel article établirait entre les agents bancaires et d’assurance d’une part et les autres partenaires commerciaux (en particulier les autres agents commerciaux) d’autre part.
Selon l’arrêt de la Cour Constitutionnelle du 15 octobre 2015, cette différence de traitement est pourtant bel et bien justifiée par un critère objectif, à savoir l’existence d’une législation spécifique applicable au secteur bancaire et de l’assurance qui garantirait déjà une protection suffisante à l’agent bancaire et à l’agent d’assurance.
Les conclusions tirées par la Cour Constitutionnelle dans cet arrêt ont le mérite d’être claires : la Loi IP ne s’applique pas aux contrats d’agence bancaire et d’assurance est cette exception est justifiée. Cet arrêt de la Cour Constitutionnelle confirme dès lors l’exclusion des agents bancaires et d’assurance du champ d’application de la Loi IP.
Maître Carmen Verdonck
Altius
DéC